Pereira prétend
Tabucchi, Antonio
Lisbonne, fin juillet 1938, Doutor Pereira est un fin lettré, admirateur et traducteur de littérature française. La politique n'intéresse pas Pereira même s'il écrit dans un journal des plus conservateurs de la ville. Pereira ne mange que des omelettes et boit des citronnades. Il est obèse, plus ou moins dépressif et seul depuis la mort de sa femme. Cette vie morne et rangée va être bouleversée, bien sûr, par l'irruption de Monteiro Rossi, un jeune révolutionnaire à qui il demande d'écrire une rubrique nécrologique d'écrivains encore vivants !! Ce dernier, accompagné par Marta, une rebelle au pouvoir salazariste, finit par accepter, son besoin d'argent prévalant. Mais ses premiers articles inquiètent fortement Pereira car ils sont d'une virulence propre à ne pas passer la censure très active dans le Portugal d'avant-guerre et par ricochet à remettre en cause sa position sociale confortable. Cependant, petit à petit, la fréquentation de ce jeune homme et de son amie vont instiller le doute à la fois psychologique (il veut se sortir de sa dépression latente) et physique (il va arrêter les omelettes et les citronnades). La scène, d'une remarquable acuité, avec son docteur et confident constitue à ce titre le tournant dans la BD.
Antonio Tabucchi a écrit ce roman en 1994. Si l'adaptation cinématographique n'a pas laissé des souvenirs grandioses, en revanche, sa transposition en BD est une réussite. Pour cela, Pierre-Henry Gomont a adapté sa technique de l'aquarelle au profit de couleurs plus directes retranscrivant fidèlement le ciel et la lumière de Lisbonne. La violence larvée du régime salazariste est, elle, finement retranscrite par des cadrages elliptiques et une juste sobriété. De même que le choix d'un ton légèrement décalé et caustique s'avère judicieux.
"Pereira prétend" est un roman et une BD au ton toujours actuel. Pour perpétuer toutes les formes de désobéissances aux totalitarismes même soft. L'hommage à la Résistance et aux résistants reste évident mais Gomont, en prélevant la substantielle moëlle du livre, parvient à faire apparaître cette "brunisation" des esprits qui précède et accompagne les tyrans (relire et analyser les planches de Pereira quand il parle à sa concierge).